Stéphane Popu

photographie

 

Elles ne montrent. 2001

Biographie

Stephane Popu

 

L’adolescence est un moment où les composantes de l’identité s’affermissent aux prises avec toutes les composantes de la société. Pendant cette période j’ai dû composer avec une image de moi qui me paraissait extérieure car elle me définissait aux yeux des autres, mon corps était dans tous les sens inapproprié.

Comment proposer une image de moi plus proche de ce que je voulais communiquer en composant avec cette charge ? C’est alors que la photographie s’est trouvé être mon plus précieux auxiliaire: elle me permettait de présenter une image de moi qui correspondait à l’image que je me projetais. Une image que je voulais plus réelle que mon image physique et qui me permettait de m’identifier, de me tracer un contour, un contour en totale divergence, mais toujours en dialectique avec mon apparence.

Cette question du dédoublement de l’image réelle et de l’image spéculée se retrouva donc vite au centre de mes recherches, amenant des interrogations de plus en plus vive sur le rapport de l’image au corps. Mon travail plastique est tout entier bâti autour de cette volonté à mener une quête dans l’image qui me permette de lever le voile sur la zone trouble qui lie ce que nous voyons et ce que nous appelons l’identité. 

Mon travail m’a vite poussé vers la conscience aiguë que le photographe ne photographie jamais que lui-même quel que soit son sujet. Un miroir sans tain ou le sujet vient se confondre avec l’image du photographe. Toute image est le miroir de celui qui la prend, la peint, la capture. Un microscopique miroir qui ne renvoie qu’a un détail de soi, mais qui forme avec l’ensemble des autre images, prises, peintes, capturées un réseau dense qui renvoie une image arrêtée mais mouvante d’une certaine vérité de notre identité. Une image qu’il faut savoir lire dans la contre-forme. Et qui, pour cette raison, explique la fascination de l’homme pour l’image, ce quelle cache et son obstination à lui prêter une «vie intérieure».

Beaucoup d’entre nous, si nous ne le sommes pas tous, sont dans la situation «d’Alice au pays des merveilles» qui du fond de son terrier menace qu’on lui dise qui elle est sinon elle ne sortira pas. Nous en voyons tous les jours les répercutions dans ces idées prêtes à consommer, dans le personal branding dont les réseaux sociaux diffusent. Plus gravement dans le passage des anciennes luttes pour le territoires à des luttes pour l’identité. L’identité est une matière volatile contrainte par la pensée imageante: le regard de l’autre. La photographie par son procédé détient ce pouvoir de contrition. Refuser d’en faire usage, refuser de plaquer son image sur celle de l’autre et d’amener un monstre hybride à la vue, est-ce arrêter de faire des images ? Comment jouer avec ce rapport le désamorcer, le rendre palpable, le mettre en abîme ? 

Un territoire donné, et a fortiori l’ensemble de ceux-ci, possèdent visuellement suffisamment de possibilités symboliques pour mettre en jeu le plus grand nombre d’intentions et alimenter ainsi un travail plastique. Ainsi l’image de l’humain, le corps, sont peu nécessaires pour parler ce que nous sommes, l’acte de ce corps prime sur tout le reste. En photographie la nécessité du corps photographié pose parfois question : ce corps d’ores et déjà inscrit dans l’image par l’acte même de la capture d’image. Ainsi, mon travail est en constant mouvement entre jouer avec la représentation du corps dans l’image et la perception par le spectateur de l’écran intermédiaire du photographe entre lui et l’objet photographié. D’une certaine manière ce corps photographié c’est également celui du spectateur de mes images.

Parlant de mon travail, la métaphore la plus juste pourrait consister à s’imaginer une tapisserie en train de se faire: les parties vertes, bleues, rouges, noires en train de s’inscrire sur le ruban de tissu ne donnent indépendamment aucune idée de l’image finale. Seul le rapport entre ces parties lui permet d’apparaître. 

Chacun des travaux que j’entreprends est un chemin dont le but se dessine parfois à rebours : une couleur, un repère qui ne transmet son sens que si elle jouxte une autre partie. Chacun des artefacts qui marque mon parcours à ce jour ne peut se révéler que dans son ensemble ou dans l’idée du projet d’ensemble. Chacun, partie intégrante de cette tapisserie et que j’observe se former jour après jour avec l’espoir de comprendre une structure qui ne se laisse guider que par l’intuition.

Bien que mes supports de prédilection soient la photographie et la vidéo les images que j’emploie peuvent provenir d’autre supports ou techniques, c’est pourquoi je revendique pour mon activité le terme d’imagier qui offre une idée plus large et mieux adaptée à ma production d’image au regard des possibilités techniques offertes aujourd’hui.

Comment voit-on ? Comment ne voit-on pas ce que l’on voit ? Comment voit-on ce que l’on ne voit pas   ? comment cela s’appelle la réalité   ?